Le terrain vague entre deux immeubles était entouré de bungalows de chantier de construction, désormais un barrage de police avec des barrières et des voitures de patrouilles garées bloquaient l’accès. Lorsque le groupe d’agents de la brigade criminelle approcha, ils virent les flics déjà sur place. Ils portaient des cirés de pluies et pointaient leurs lampes torches sur le sol. Les faisceaux des torches s’entrecroisaient, éclairant ici et là des bouteilles de bières vides, du bois de construction détrempés et des débris de papiers. Les flics leurs montrèrent le cadavre. Rien qu’à sa vue quelques flics sentirent leurs genoux se dérober et manquèrent de s’évanouir ou de vomir. Foley le capitaine de la brigade criminelle s’éclaircit la gorge et s’adressa à tous :

« Vous deux continuez à braquer vos torches sur le décédés, quand à vous messieurs, prenez notes. Nous avons un mort, sexe masculin, âge approximatif, 30 à 40 ans, le cadavre git sur le dos, bras et jambes écartés. Sur le cou il y a des marques de ligatures, les yeux ont été ôtés et les orbites sont vides. Tout son ventre est meurtri et enflé, il y a des marques de morsures partout. Il n’y a aucune trace de précipitations sur le cadavre, hors, comme il a plu fortement entre 10h du soir et minuit et qu’il est tout juste 1 h du matin nous pouvons estimer que le corps de la victime a été déposé ici il y a moins d’une heure. C’est un ouvrier qui a trouvé le corps en revenant d’une beuverie et en allant dans son bungalow, il nous a appelés aussitôt. »

La sirène de l’ambulance venue récupérer le cadavre se fit entendre dans la rue.

« Vous pouvez voir environ 6 plaies de morsures sur le torse entre le nombril et la cage thoracique. La chair est déchiquetée sur le pourtour des orifices et les viscères sont couverts de sang coagulé, exsudé par les plaies. La peau autour de chaque blessure est enflammée, délimitant clairement les lambeaux de chair. »

Les ambulanciers se ramenèrent avec leur house mortuaire et leur brancard pour emballer le corps et l’amener au commissariat.

« Les enfants, vous connaissez la musique, vous commencerez à remuer les puces aux gens du quartier demain dès 8h, vous connaissez le topo, témoins du largage de cadavre et suspects qui trainaient dans le coin. »

Les agents s’éloignèrent pour revenir à leurs véhicules et déguerpirent. Au moment où l’agent John Blake parvint à sa voiture dans une ruelle, une voix grondante retentit dans l’ombre :

« Agent Blake, j’ai besoin de vous. »

Il s’arrêta de parler un bref instant comme s’il hésitait à continuer.

« Parfois Jim Gordon va sur le toit du commissariat pour méditer près de l’ancien projecteur aujourd’hui détruit, vous savez à quoi servait ce projecteur n’est-ce pas ? »

La voix changea d’emplacement comme s’il se déplaçait dans l’ombre de la ruelle.

« Parfois je me mets sur un autre toit hors de vue et je l’observe, aucun flic n’ose venir à côté du bat-signal à part Gordon et vous. Je vous ai vu lui parler à cet endroit. »

Il y eut un bruit sourd sur le toit de la voiture de police et il se pencha vers Blake en sortant sa tête de l’ombre. Il portait un masque de chauve-souris.

« J’en déduis que comme vous êtes le seul parmi vos collègues à comprendre ce que cherchait à faire Gordon avec moi avant que je ne sois traqué. »

Batman se redressa sur le véhicule, on le discernait un peu mieux maintenant.

« J’ai écouté les fréquences de police, je suis venus ici aussitôt comme vous. Je veux mettre la main sur le furieux qui a tué l’homme qu’ils viennent d’emporter dans l’ambulance, mais pour ça je dois examiner son corps en détails. »

Il s’interrompit avec gêne et lâcha finalement :

« Je vais vous en demander beaucoup John, mais il faut que vous me fassiez rentrer dans le commissariat pour que j’accède à la morgue. »

Batman s’attendait à tout sauf à ça. Comment avait-il fait pour dénicher sa véritable identité ? Une preuve compromettante échappée de Wayne Enterprise par la négligence de Lucius Fox ? Improbable. Il avait cogité et en était venus à la conclusion que seul Bruce Wayne avait les moyens pour être Batman ? Un coup de bluff assez téméraire de la part d’un flic, improbable aussi. Mais la stupéfaction se voyait dans l’expression de la bouche pleine de désarrois de Batman et par la surprise totale dans son regard. Il avait toujours pensé que c’est l’un de ses ennemis qui aurait finis par découvrir qui il était vraiment et non un simple flic. Il s’empressa de se défendre par réflexe :

« Allons bon, vous osez me comparer avec Bruce Wayne ? Ce play boy indolent et sans envergure ? Pas foutus de faire quoi que ce soit de ses 10 doigts ? Soyons sérieux une minute, comment voulez-vous que je sois Wayne, d’ailleurs si j’avais sa fortune je ne serais pas à Gotham à faire tout ça, je serais plutôt sur une île des caraïbes à profiter de la vie, vous ne croyez pas ? »

Même si son argument avait du répondant, il était trop tard, sa première réaction de surprise l’avait déjà trahit et elle ne pouvait pas avoir échappé à Blake qui semblait perspicace. Maintenant Batman savait que Blake savait tout. Le justicier fouilla dans sa ceinture outils et sortit un micro qu’il tendit à l’agent.

« Mettez ça sur le revers de votre col, vous pourrez m’entendre et me parler avec ça. Ouvrez le chemin, je vous suis. »

Puis Batman se détourna dans un grand mouvement de cape et disparus dans l’ombre. Le policier avait encore vu juste, Batman avait son propre véhicule. La voiture de Blake se mit à rouler en direction du commissariat et une fois qu’il eut traversé quelques rues, la voix de Batman se mit à retentir dans le micro qu’il lui avait passé :

« Ecoutez, je sais que vous êtes en train de vous demander pourquoi je vous sollicite vous et pas Gordon. Il y a plusieurs raisons à ça. Autrefois, Gordon était un officier sur le terrain, alors il pouvait intervenir plus rapidement sur les lieux et agir avec moi. Maintenant qu’il est commissaire, tout a changé, il ne peut plus intervenir dans les rues si directement, il a certes plus de pouvoirs, mais il a les mains liées depuis que le maire a fait de moi l’ennemi public n°1. Il ne peut pas agir au grand jour, seul un flic de terrain qui peut passer inaperçu aux yeux de la hiérarchie est en mesure de m’aider. »

Batman cessa de parler pendant quelques minutes mais repris la parole alors que la voiture de Blake s’engageait sur une avenue et la voix de Batman se fit plus usé et plus amer.

« Il y a une autre raison aussi, je lui ai demandé trop de choses, lui ait fait prendre trop de risques, je ne veux pas que Gordon gâche la fin de sa carrière à cause de moi, il a déjà failli mourir en m’aidant, il a perdus sa famille en s’impliquant beaucoup trop à mes côtés. Il est vieux et désabusé. »

Il voulut ajouter « comme moi » mais se retint. La voiture s’engagea sur le parking du QG des forces de l’ordre.

« Allez y continuez de rouler, ne faîtes pas attention à moi, à vrai dire je suis… comment vous expliquer, je suis au-dessus de votre voiture… très au-dessus… »

La voiture s’engagea dans l’entrepôt-garage où les camions d’interventions du SWAT et les patrouilleuses des agents de terrains étaient alignés. Près du local des registres des véhicules, un groupe de policier était en train de boire du café dans des gobelets. Ils squattaient devant l’entrée de la morgue qui donnait sur un quai de déchargement. Des hommes du coroner faisaient des allées et venus avec les cadavres des accidentés de la route sur des brancards. Un médecin légiste qui avait finis son horaire de garde sortit de la morgue avec une scie chirurgicale, des sacs plastiques et des bocaux pour formol qu’il posa sur un chariot qu’on embarqua dans une ambulance, direction l’hôpital général (rebâtit depuis que le Joker l’avait fait sauter). Les sous-fifres accrochaient des étiquettes sur les gros orteils des accidentés de la route qui étaient recouvert d’un drap blanc et ils les faisaient entrer dans la morgue. Dans le couloir menant aux salles d’examen des cadavres de la criminelle, l’assistant du coroner fumait cigarette sur cigarette pendant sa pause pour essayer d’étouffer les odeurs de formol et de sang.

La voix de Batman grésilla une dernière fois près du cou de John Blake :

« Je vous ais en visuel, je suis dans le hangar avec vous, euh… toujours au-dessus de votre tête. Je vais cesser de vous parler pour ne pas vous faire repérer, à vous de jouer, il me faut une diversion qui soit assez efficace pour faire dégager tout ce beau monde devant la porte d’accès. Ecoutez attentivement, ce que vous allez faire dans les minutes qui vont suivre risque de compromettre votre carrière ou pire encore, réfléchissez bien, vous n’êtes pas obligé de m’aider. Je préfère être livré à moi-même que vous donner des contraintes comme j’en ais infligé à Gordon. »