2h00 du matin m’indiquait ma montre, j’allais encore être en retard, pour ne pas changer. Heureusement que ce bon vieux Ishtar en avait l’habitude. Pour toute personne normale qui n’a rien à se reprocher, deux heures du matin était l’heure où elles se trouvaient au fond de leur lit, bien au chaud, en train d’être bercé par Morphée. Mais pour un flic comme moi, 2h du mat’ c’était une heure presque normale pour aller boire un verre. En général je finissais de clôturer mes dossiers vers les 1h30-2h du mat’ et après j’allais boire un verre pour me détendre avant d’aller me coucher. Ce soir j’avais fini un peu plus tôt - bon pour dire vrai je n’avais pas vraiment fini ce que j’étais en train de faire mais ça pourrait attendre le lendemain sans problème - j’étais donc rentré chez moi, sous le regard surprit du gardien qui me souhaita une bonne nuit. Je n’allais pas me coucher, cela allait s’en dire, je rentrais juste me changer, je n’avais pas envie d’arriver en costume au rendez-vous, je ne compte pas donner le bâton à Ishtar pour me faire battre. Pensant que j’avais largement le temps, j’avais même pris la peine de prendre une petite douche pour me détendre, seulement je me suis tellement détendu que quand j’en sortis, il était déjà l’heure de repartir. J’enfilais donc rapidement un t-shirt, un jean, ma veste en cuir, j’attrapais mes gants, mon casque et je me dirigeais d’un pas tranquille vers ma moto qui m’attendait bien sagement dans mon pseudo garage. Le bruit du moteur qui rugit dans le silence de l’usine que je louais - enfin le dernier étage seulement, avec ce coin garage - me fit frémir et devait bien faire chier mes voisins. J’enfilais mon casque sur mes cheveux encore mouillé, allumais mes phares et m’en allais à toute bombe à mon lieu de rendez-vous. J’aimais cette sensation de vitesse qui m’envahissais, j’étais content de l’acquisition de cette moto il y a peu, j’avais besoin d’un peu de changement dans ma vie, bénéfique cela allait s’en dire et je trouvais que cette petite merveille était une excellente idée. J’arrivais rapidement sur le lieu de rendez-vous, encore bruyant de monde, c’était parfait pour ce que j’avais à faire.

Depuis quand connaissais-je Ishtar ? Depuis mes débuts dans la police, ce fut mon mentor, mon coéquipier et il est devenu mon ami avec le temps. Il s’en tamponne de savoir qui est mon père, lui me voit en tant que personne et non en tant que fils du politicien Harker. Il m’a toujours traité en égal, pas toujours de façon douce, très souvent brutale même, mais ça ne m’a jamais vraiment fait de mal au final. Alors quand Gladys, la vieille archiviste du commissariat du coin, m’a parlé de ce dossier que ceux de chez moi, les affaires internes, montaient contre mon ancien partenaire, j’ai été surpris. Gladys je la connais depuis toujours, elle a connu notre mère à Callyope et moi et elle prend toujours plaisir à nous raconter mille et une anecdote sur elle … ce que ne fais jamais notre père car il déteste qu’on lui parle d’elle, souffrant encore trop de sa disparition … soit disant. Elle me connait par coeur, je n’irais pas dire qu’elle m’a élevé, mais presque, elle m’a en tout cas souvent gardé avec Callyope. C’est un peu ma mère, toujours plus que Krystal en tout cas. Elle sait que j’ai travaillé avec Ishtar et elle sait qu’on est ami, alors qu’elle n’a pas été son étonnement d’apprendre qu’ils commençaient à fouiner dans la vie de mon ami sans que je réagisse. Pour réagir, il faut être au courant et bien entendu, ils se sont bien abstenu de le faire, sachant très bien que j’allais leur mettre des bâtons dans les roues … comme si j’allais me gêner tiens. Ni une, ni deux j’ai contacté Ishtar pour lui donner rendez-vous. Etant tout deux des couches tard, l’heure ne fut pas un problème et c’est donc pour ça qu’à deux heures du matin je me retrouve devant l’entrée d’un bar pour un « rendez-vous urgent ».

Je mis ma moto à l’arrêt, j’enlevais mon casque, et j’entrais dans le bar, casque dans la main et sourire charmeur accrochait au visage. De bonne ou mauvaise humeur je ne peux jamais m’en empêcher, je suis un coureur invétéré, je ne suis pas sûr de tomber amoureux de quelqu’un un jour. De toute façon je ne le veux pas, je refuse que quelqu’un se trouve au milieu de ma soeur et moi, je sais que ça fait un peu incestueux, mais c’est tellement au delà de ça que peu de gens peuvent vraiment comprendre notre lien. Ma soeur c’est un peu moi, on est jumeau, on est lié et même si techniquement on est de « faux-jumeaux », je crois qu’on est largement plus lié que certains vrais jumeaux. C’est limite si je ne sais pas quand elle a mal ou qu’elle est malheureuse … pour dire à quel point on est connecté tous les deux.
Je repère Ishtar dans un coin sombre et ne suis nullement étonné. Je passe ma main libre dans mes cheveux et me souviens que j’ai encore mes gants. J’arrive à sa table, poste mon casque, ôte mes gants, glisse une nouvelle fois mes doigts dans mes cheveux encore un peu humide et les attaches avec un élastique pour ne pas qu’ils me gênent. Je commande à la jolie serveuse une pinte de bière et je m’installe enfin à la table. «Alors Harker, que me vaut l’honneur de ce soudain besoin de me revoir ? » Son accueil ne m’étonne pas le moins du monde, mais j’attendis que la serveuse me pose ma pinte devant moi avant de me tourner vers lui, tout sourire, même si l’heure ne prêtait pas à cette attitude, j’étais quand même content de le voir, cela faisait quelques semaines que l’on ne s’était pas vu, il m’avait manqué ce con … « Oui moi aussi je suis content de te voir, c’est toujours un plaisir d’être illuminé par ton sourire chaleureux. » commençais-je par le taquiner gentiment. Je n’étais pas très raisonnable, j’aurais dû me lancer tout de suite dans une mine sombre en lui annonçant la nouvelle mais j’avais envie de sourire, je voyais des gens faire la gueule toute la journée, c’était un peu gonflant. Pourquoi avais-je changé de service moi déjà ? Alors que je déteste les affaires internes ? Ah oui j’ai suivi les bons conseils de ma soeur … va falloir qu’on est une petite discussion à ce sujet d’ailleurs, j’aimerais bien savoir ce qui lui est passé par là pour être autant à côté de la plaque à mon sujet, ce n’est pas normal. « Bon si je t’ai fais venir, c’est pas pour parler tricot … les affaires internes t’ont dans le collimateur … » repris en ayant une mine plus sérieuse que précédemment.

Notre amitié remontait maintenant à quelques années, depuis mon entrée dans la police en fait. Il avait été mon « instructeur » si je puis dire, mon coéquipier aussi et même si j'avais changé à de nombreuses reprises de service, nous étions toujours restés en contact tout les deux. C'était primordial dans notre boulot d'avoir des gens sur qui compter, des gens qui assurent nos arrières pendant qu'on assurait leurs avants. Pour moi Ishtar faisait parti de ses flics à qui je confierais ma vie sans problème. Je ne pourrais jurer solennellement qu'Ishtar n'a jamais été un ripoux, dans ce job, les tentations sont nombreuses et difficiles sont les choix que l'on devait prendre, mais même si ça avait été le cas, ça ne changerait rien pour moi. Je le connais, je sais de quoi il est capable et je sais qu'il a des limites – qui je l'espère il ne franchirait jamais – et puis soyons sérieux ce n'est pas moi qui lui jetterais la première pierre car même si je n'ai jamais été – encore - un ripoux, je n'ai pas toujours fais de belles choses dans ma vie. Et de toute façon l'heure n'est pas à savoir si oui ou non c'est un escroc, l'heure est à assurer ses arrières face à mon service. C'était pour le prévenir que j'étais venu ce soir dans ce bar, avec la photocopie de son dossier. Bien entendu il était loin d'être terminé, les affaires internes commencent à peine à mettre le nez dans cette histoire, mais je ne doute pas de leur capacité à trouver la petite bête dans la vie de mon ami et à lui faire payer ses années de fidélité au sein de la police. « T’as déjà pensé à te les faire couper ? C’pas qu’on dirait une gonzesse, mais ça accentue ton côté féminin. » Je venais d'arriver à sa table et j'étais en train de m'attacher les cheveux, encore légèrement humide, pour être tranquille tout le long de la soirée. Je suis parfaitement conscient que mon look ne correspond pas à un flic lambda et encore moins aux affaires internes. Je sais qu'ils rêveraient de soit me jarter de leur service, soit me transformer en flic modèle, seulement je n'ai pas changé de look depuis que je suis entrée dans la police, ce n'est pas aujourd'hui que je vais changer quoi que ce soit. La remarque de mon ami me fit beaucoup rire, je sais qu'ils rêvent tous de me voir me couper les cheveux, mais moi je les aime comme ça. « Non jamais et puis figure toi que les filles adorent mon look, alors tant que ça marche avec elles, je ne change rien. Et puis arrête d'être jaloux, je sais que tu les kiffes mes cheveux ! »

Prendre un instant pour plaisanter, il n'y avait rien de mieux et puis même si on était ici pour une affaire urgente et très sérieuse qui concernait Ishtar, on pouvait quand même prendre un instant pour se saluer et se balancer une ou deux vannes, ça ne gâchait rien à ce rendez-vous. Le sérieux revint tout de même assez rapidement, après tout plus vite on réglait cette affaire et mieux ce serait, on pourrait profiter de la présence de l'autre un peu plus tard. Je rentrait directement dans le vif du sujet, je savais que mon ami ne s'en formaliserait pas, bien au contraire, je connais bien Ishtar et je sais qu'il n'aime pas perdre son temps à tourner autour du pot. Ce n'était pas toujours à son avantage, mais ce soir ça allait nous arranger tous les deux. « Okay, les affaires internes. » Mon service avait décidé pour une raison que j'ignorais de se plonger dans son passé pour sortir toutes les bévues qu'il avait pu commettre afin d'avoir un dossier solide contre lui. Je soupçonne mon service d'avoir été payé par un criminel ou un mafieux qui en voulait à mon ami, sinon je ne vois pas pourquoi ils en avaient contre lui, il n'était qu'un flic lambda comme un autre. « C’est quoi le motif ? » Quand il me demanda le motif, je sortis le dossier de mon sac et le lui tendis pour qu'il puisse voir par lui même de quoi il retournait. J'observais en même temps les alentours pour vérifier qu'on était pas surveillé. Mon père serait capable de tout pour me ramener sous sa coupe, même s'en prendre à mes amis, mais pour le coup, je penchais pour un autre mafieux, ami proche de mon père, qui devait avoir une sacrés dent contre lui. « Coups et blessures, interpellations illégales, interrogatoires trop musclés, non lecture des droits, non respect de la personne interrogées et je te passe les détails de la longue liste … T'as du en énervé un paquet de gens dans toute ta carrière mais dernièrement tu ne te serais pas mis à dos un mafieux ou deux ? » pour moi il n'y avait que cette explication logique et c'était bien triste de se rendre compte que même les affaires internes étaient des pourris …