Il était temps de réapparaître. La solitude n'avait jamais été son fort. Sans avoir cessé toutes ses activités, la jeune femme avait du voir ses exigences professionnelles à la baisse. Peut-être deux ou trois affaires s'étaient présentées à elle, et elle avait du en refuser une qui la rapprochait un peu trop de l'homme qu'elle avait tué un mois auparavant. Mais cela faisait maintenant plus de six semaines. De l'eau avait du couler sous les ponts. Et si ce n'était pas le cas, ce serait du sang. Rachel avait besoin de sortir : elle se sentait emprisonnée par l'ennui, bridée dans sa liberté à tel point qu'elle se laissait gentiment crever. Plus un seul aliment n'arrivait à franchir la barrière de ses mâchoires serrées par la crispation. Sans hygiène de vie avait de quoi faire pâlir le moins impressionné des médecins : café, cigarettes, amphétamines et de temps à autres une pizza. Sa ligne n'en avait pas moins souffert. Rachel avait perdu bien dix kilos, ce qui avait eu pour conséquence de creuser ses traits déjà fins et de réduire sa force. De violentes cernes appuyaient sa fatigue, et son irritabilité croissante la forçait à tourner en rond dans sa chambre comme un cochon malade. L'idée stupide de se muscler pour palier à son manque soudain de force n'aida en rien sa résistance physique.

Or, jouer les fantômes n'avait jamais été son truc. Ce soir elle avait rendez-vous avec un certain Lucas, un type qu'elle avait rencontre par erreur. Une erreur qui lui assurait cependant son actuelle liberté. Ils s'étaient retrouvés au même endroit et au même moment face au même ennemi. Ils durent forcer la collaboration, et contre toute attente, ils s'en sortirent avec brio. Comme si toutes les prières qu'elle avait adressé à un Dieu auquel elle ne croyait pas avaient été entendues par cet homme. Sans croire à une connexion télépathique, il était certain que les deux hors la loi travaillaient de la même manière. Ils s'étaient échangés leur numéro, au cas où... Et l'occasion se présentait enfin. Rachel avait considérablement rongé ses économies, et sa discrétion la rendait barge. Elle était fin prête à reprendre du service.
Le rendez-vous avait été fixé dans un bar de Gotham, pas loin des rues sacrifiées à la luxure. Type pub, le bar jouissait d'une population souvent nombreuse et d'une ambiance chaleureuse. Lucas et elle-même y passerait inaperçu, ou au pire, pour deux collègues de travail. Ce qui n'était pas faux. Disons que leur association ne possédait que le label d'illégale et officieuse. Toutefois, personne ne viendrait les emmerder. Ce n'était le QG d'aucun gang si ce n'était celui d'une bande de lycéens. La concurrence n'était pas rude.

A dix heures, Rachel entra dans le pub, écrasant sa cigarette dans le cendrier prévu à cet effet aux portes du bar. Quelques tables libres subsistaient malgré le monde déjà bel et bien présent. Elle salua le gérant et prit une place au fond du pub, non loin du comptoir. Tout se déroulait comme prévu à l'instant, ne manquait plus que ce cher Lucas...

Lorsqu'elle vit la silhouette de l'homme se dessiner dans l'entrée, Rachel se raidit. L'idée qu'elle commettait une grosse connerie lui traversa l'esprit. Mais qu'avait-elle à craindre de lui ? Elle ne pouvait le dire, mais une certaine appréhension lui nouait l'estomac. Sa dernière collaboration avait fini dans le sang. Qu'est-ce qui lui disait que ce type était digne de bosser avec elle ? Rien, absolument rien. Lucas Cole se faufila entre les tables pour la rejoindre, un large sourire affiché. Rachel ne fut capable que d'une brève moue qui ne voulait pas dire grand chose. Avant qu'il ne s'assoit, elle lui serra la main, posant ainsi une certain distance dans le cadre d'une entrevue toute à fait professionnelle. Malgré son attitude décontractée, Rachel se laissait gentiment submerger par le stress. Leur silence se faisant de plus en plus pesant, elle lui rendit ses politesses :

Salut. C'est vrai que ça faisait un petit moment. Tu t'es sorti de tes emmerdes ? Un sourire coincé étira ses lèvres. J'espère que tu aimes les brunes... Rachel marqua une pause. Parce que je nous ai commandé deux Guiness. Au pire, elle boirait les deux. Ce n'était pas comme si l'idée la dérangeait...

Un serveur arriva justement avec deux belles pintes sur son plateau. Il déposa les verres sur la table des deux hors la loi et mit la note à l'envers. On ne montrait pas le prix aux dames... Conneries. D'autant plus que c'était justement la dame qui offrait la tournée.

Je ne sais pas si tu as un emploi du temps chargé, mais le mien reste désespérément vide. Je me disais que tu aurais peut-être besoin d'un coup de main pour une ou deux affaires...

Autant mettre les pieds dans le plat. Au mieux, elle allait se faire du fric. Au pire, elle se faisait jeter.

Rachel était d'autant plus gênée que son stress était palpable. Un vrai cercle vicieux. Ses mains se baladaient de haut en bas sur le verre humide, inlassablement. Faisait-elle une connerie ? Peut-être. Mais il lui fallait une affaire afin de remette le pied à l'étrier. Et puis, ce type, Lucas, lui inspirait une certaine confiance. C'était certes un criminel, et par définition, il fallait s'en méfier, mais quelque chose ne lui transpirait la sympathie. Pourtant d'un physique assez brut et fermé, Cole ne portait en rien, selon Andersen, les traits du mal absolu. Peut-être se trompait-elle. Et ce serait immanquablement à ses dépends...

Apparemment les deux hors la loi avaient eu la même idée. A peine Rachel s'était-elle renseignée sur la possibilité d'une association que Lucas lui dévoilait le tout. Enfin, si elle le sentait.

Et comment ! Rachel s'avança sur sa chaise, sa curiosité piquée à vif. Il s'agirait de quoi ?

Son passif de criminelle avait appris à Andersen à toucher à tout. Même si elle excellait dans certains domaines, elle faisait en sorte de gérer sur tous les fronts. Et puis, elle aimait bien le challenge.

Ca se passerait comment ? Avec qui ?

Cependant, une fois qu'elle s'engageait dans quelque chose, Rachel avait besoin de connaître tous les paramètres.
Le temps que Lucas expose son plan, la jeune femme but à grandes gorgées sa Guiness, n'en laissant qu'une trace de mousse sur les parois de son verre.

Si Andersen touchait effectivement à tout, elle n'avait jamais raffolé du cambriolage de banque ou autres institutions privées et publiques. Trop risqué. Même son côté tête-brûlée se trouvait refréner par l'idée d'un braquage. Ce milieu ne faisait aucune place pour les amateurs. Tout devait se passer vite et selon les plans. Une seconde de perdue et c'était une vie derrière les barreaux, si ce n'était six pieds sous terre. Rachel laissa transparaitre son scepticisme. La jeune femme leva les yeux des plans de l'homme, reposa délicatement son verre, et inspira profondément :

C'est sacrément culotté et... putain d'ambitieux ! Wow. Rachel se laissa lourdement retomber sur sa chaise. L'expression figée par le dilemme qui se livrait à elle, elle poursuivit : C'est pas ton premier j'espère ! Car voler quatre Snickers à l'épicerie du coin ce n'est pas aller piocher dans la caisse d'un magnat... Et tes types, ils sont dignes d'une quelconque confiance ? L'appât du gain rend le genre humain faible, stupide et imprévisible.

En exprimant ainsi ses doutes, elle risquait de perdre toute possibilité de collaboration avec Cole, mais en le faisant, elle témoignait aussi de son expérience et de son professionnalisme. En effet, personne ne pouvait se lancer dans un tel plan sans réfléchir deux secondes et se poser quelques questions.
Un autre point la chagrinait. Devoir tuer les hommes de main. Rachel y avait été forcée une fois, et elle n'avait pas aimé du tout la suite des évènements. Se cacher, faire semblant d'être morte, et se laisser effectivement mourir à petit feu. Elle en sortait à peine. L'idée de devoir à nouveau disparaître la contrariait au plus haut point. Andersen préférait les braquages à la Ocean's Eleven plus qu'à la Scarface.

Tu projetterais de le faire quand concrètement ? Nos rôles ? Consciente d'assaillir son interlocuteur de questions, elle le rassura : C'est pour bien saisir tous les paramètres avant de tremper là-dedans.