Griffy s’était réveillé le cul dans une beine à ordure, la bouteille dans la main. Il était encore dans les vapes et leva la bouteille pour regarder à travers, il la retourne et la secoue au dessus de ses lèvres comme pour récolter quelques gouttes. Rien n’y sortant, il râla et envoya la bouteille contre le mur d’en face, le verre explosant sur le béton décrépi. Il se lève d’un bond et fait mine de se dépoussiérer. Il titube un peu, et baille en s’étirant, une odeur épouvantable émanait de ses vêtements, si bien qu’en passant à côté, un chat partit en courant.
Il alla voir Annabeth, une vieille connaissance à lui… Une prostituée qu’il connaissait comme ça, c’était une russe forte sympathique qui avait un sale caractère et qui souvent abritait l’irlandais. Il sonna chez elle, un appart’ de merde dans un immeuble abîmé. Une femme rousse, une teinture sans doute, lui ouvrit la porte, elle hurla en grimaçant :

«  Pouah ! Où t’as trainé encore ? T’es pas possible ! Allez entre ! »

L’illuminé prend soin de s’essuyer les pieds avant d’entrer. Il va à la salle de bain et se déshabille pour pouvoir profiter d’une agréable douche bien chaude. Anna lui apporta des vêtements propres, des vieilles fringues ayant appartenu à ses ex sans doute ou bien à des clients. Elle s’était assise sur le dossier de son canapé à fumer dans son peignoir de mauvaise qualité. Griffy revint voir la prostituée en la remerciant, cette dernière le regarde et râle mais elle lui sourit de sympathie. Ils restèrent un moment comme ça sans rien dire, elle finissait sa clope, lui regardait par la fenêtre. Ils n’avaient rien à se dire mais les mots n’étaient pas nécessaires. Après une heure, Griffy la salue et se casse.

Propre comme un sou neuf, il gonfle ses poumons d’air pollué par la circulation affluente. Il marchait d’un pas relâché, profitant du soleil qui lui léchait agréablement le visage. Il était perdu dans ses folles pensées quand une voix féminine l’interpella. Il se retourne et voit une autre rouquine mais cette fois c’est pas Anna mais une autre connaissance. L’irlandais mit un temps avant de se souvenir, il fit claquer ses doigts  

«  Aslinn ! Oooooh ! Mais ça va bien, si on retire les problèmes du quotidien hee hee !  Un verre ? Pourquoi pas ! Je suis toujours partant pour un verre gratuit ! Hee hee ! »

Allant dans un bar non loin, il s’installa à une table avec l’irlandaise. Il lui sourit en lui montrant toutes ses dents :

«  Que devient notre petite rouquine ? Tu as arrêté ce boulot qui ne te plaisait guère ? J’peux plus te voir, je suis interdit d’entrer dans le club ! Puis en ce moment, j’ai pas les moyens ! Hee hee ! »

« A nos retrouvailles ! Il leva son verre et entama sa boisson, il se lécha les lèvres, il répondit à sa question en baillant, Oh, j’ai voulu faire une démonstration de lucidité mais ils n’ont pas apprécié ! »

En effet, il avait poignardé un type dans le club en utilisant une bouteille qu’il avait brisé en deux pour en faire une arme blanche de fortune. C’était il y a … oh il ne savait plus ! C’était déjà loin tout ça ! Il lui sourit de toutes ses dents :

« Tant mieux qu’tu sois plus là bas, c’est la merde là bas ! Je connais une fille qui y a travaillé dans sa jeunesse ! Maintenant elle est juste prostituée. Enfin ce n’est pas la question ! Hee hee ! Moi en ce moment, je prépare un truc de fou avec une bande d’« amis », ce mot sonnait bizarre dans la bouche de l’irlandais, enfin c’est une surprise secrète, un cadeau que je ferais à tous les gothamois ! Mais chhhuuut, fit il en mettant l’index devant ses lèvres, c’est un secret hein ! Et toi qu’est ce qu’il t’arrive ces derniers temps ? Tu as bien des trucs en tête maintenant que tu n’es plus obligé d’y aller ! Avec ton mari ça va ? Je le trouve naze perso ! Mais c’mon avis hee hee… »

Le projet en question qu’il avait, était bien entendu sombre et notoire pour tous. Il avait vraiment en tête de faire une grande distribution de lucidité aux Gothamois, oh certes, certains mourront, ceux qui n’arriveront pas à supporter la lucidité aussi douloureuse soit elle, mais c’était des dommages collatéraux, c’était la dernière ligne droite, s’il échouait, il s’en arrêtera là, il l’avait promis à Ellen. Il ne savait pas encore ce qu’il deviendrait après l’œuvre de sa vie, peut être ira-t-il rejoindre sa femme et l’enfant qu’il n’avait pas eu, allons savoir, la vie d’un fou est pleine de surprise !

Il finissait son verre d’une traite et essuya ses lèvres humides d’un revers de manche. Il tapota nerveusement la table en regardant autour de lui comme s’il était aux aguets puis il se reconcentra sur la rouquine :

« Je te l’ai déjà dit ? Tu as les yeux de ma femme hee hee … »

Il gloussa d’amusement à sa question, ses sourcils s’arquant assez hautement, il se lécha les lèvres en lui chuchotant sur le ton de la confidence :

« Crois moi c’est compliqué hee hee ! Je ne vais pas entrer dans des détails sordides maintenant ! Cela t’embêterait surement puis… C’est long à expliquer, je pourrais y passer le reste de la journée et ce serait gâcher cette magnifique fin de journée ! »

Il illustrait toujours ses paroles avec ses mains, une habitude chez lui qui lui donnait en plus d’un air fou, beaucoup de vivacité dans sa personne. Il prit le verre pour faire teinté les glaçons au fond, ça sembla l’amuser durant 30 secondes, Griffin était une vraie pile électrique et touchait à tout ce qui l’entourait avec une curiosité fascinante. Ce qui le ramena à la rouquine fut sa question, oh, il l’écoutait toujours quand elle parlait mais là cela attira vraiment son intention. Il posa son verre lentement sur la table comme s’il avait peur que cela face du bruit, il se pencha en avant pour joindre ses mains et s’accouder à la table. Il prenait alors une figure étonnamment grave :

« Je veux rendre tout le monde lucide… hee hee hee… Mais je ne peux pas te révéler autre chose, c’est une surprise, bientôt tu le seras, sois patiente ! On ne brûle pas les étapes ! Il se redressa soudainement à la suite de la conversation prenant un air plus guilleret et enjoué, Reconstruire ? Si je reconstruis je ne serais plus lucide ! Pourquoi avancer quand on est bien ainsi ? Tant que mon esprit stagne, j’ai les idées claires ! Oh oui… Ellen me manque tellement mais tout était de ma faute. Il avait raison ! Puis j’ai beaucoup de projet à terminer, et quand ils seront terminés… Je la retrouverais, elle et l’enfant que j’aurais dû avoir ! »

Le « il » en question désignait celui qui l’avait traqué toute sa vie : son père. Un homme abjecte qui avait pris contrôle de l’intégrité de Griffin mais il n’avait pas prévu que son fils trouve un moyen pour se libérer de son contrôle … Griffin s’était laissé dans la folie la plus complète pour échapper à son père, sa liberté mais à quel prix ? Sur la fin de sa phrase, il parlait clairement de suicide. Quand le monde sera aussi lucide que lui, il pourra rejoindre sa femme et sa petite lizzy tranquillement. Il savait déjà comment, il ira au centre commercial où il avait vu sa femme partir et se brûlerait la cervelle d’un seul coup de feu, le canon contre la tempe.

Il tapote le bord du verre contre ses lèvres et lâche un rire rauque. Il toussote pour s’éclaircir la voix, arque les sourcils et repose son menton sur ses mains. Il lui sourit alors d’un air navré.

« Mais tu comprends, c’est une surprise, si je le dis, ce ne sera plus pareil ! Mais bon, je veux bien te révéler une chose ! Je vais faire oublier tous les problèmes de chaque Gothamois ! Mais je ne te dis rien d’autre ! Oh… Arkham… Si je réussis je n’y retournerais pas ! Si je réussis … »

Il colla son index et son majeur et mit le bout de ses deux doigts liés contre sa tempe comme s’il s’agissait du canon de son arme puis il claqua sa langue contre son palais pour imiter la détonation de son arme imaginaire. Sur cette note, il reprit :

« J’irais là où j’ai vu Ellen pour la dernière fois ! Et hop ! J’irais la rejoindre ! Je serais tellement mieux près d’elle ! Mais tu comprends, je ne peux pas partir avant d’avoir rendu le monde meilleur ! Ce serait injuste de ne pas accorder aux citoyens exemplaires de cette ville, un cadeau pareil ! Mais j’ai déjà un projet ! Pourquoi je devrais me dévier et m’occuper de chose futile ! Je n’ai pas besoin de redevenir comme avant ! Avant, je n’étais qu’une larve ! Maintenant je suis Ill Griffy ! Merveilleux, fort et … Lucide ! »

il mit l’accent sur ce dernier mot, pourtant Griffy n’était pas mauvais, il faisait le mal en étant persuadé que c’était pour le bien des autres. Il avait trouvé un réconfort épouvantable dans la folie. Il avait réussi grâce à elle, qu’il surnommait « lucidité », à échapper à son père, ce qu’il n’avait jamais réussi auparavant ! Il sembla pourtant un instant absent, pensant au soir où il avait définitivement sombré. Il avait eu des séquelles irréversibles à cause de son traumatisme crânien qui l’avait très handicapé tant qu’il n’était aux yeux de la loi plus responsable de lui-même. Par conséquent, son père reprenait sa garde comme s’il allait rester un éternel enfant. Mais son enfance n’était qu’un mélange d’effroyable souvenir. Il avait réalisé à la mort de sa femme et de son enfant que jamais il ne pourrait sortir des griffes de son géniteur.

« Parlons d’autres choses ! C’est tellement triste comme sujet ! Alors ce pub ! C’est une merveilleuse idée ! Je veux bien t’aider ! Mais pas maintenant je suis tellement occupé ! Mais je note ça dans un coin de ma tête hein ! »

Il resta muet pendant tout son discours, ses doigts tremblaient un peu. Il avait des moments où il semblait être normal, comme si Griffin O’Dwayne revenait à la surface certaine fois, celui qui était astrophysicien, futur père et marié. Il la regarde le regard un peu embué et poussa un soupir rauque, il fait tinter une nouvelle fois les glaçons de son verre. Sa voix s’étrangle un peu, il a une boule dans le ventre, il n’aime pas cette sensation. La dernière fois qu’il l’a eu c’était quand il avait vu ces hommes partir avec sa femme. Il roule des yeux pour repêcher les possibles larmes :

«  Je peux pas avoir les idées claires… Je n’y arrive plus ! Mon dieu… Elle me manque tellement, je peux pas arrêter de penser à elle, si j’avais été moins faible… En restant en vie j’ai enlevé deux vies ! Ma femme et ma fille ! »

Il s’effondra, le visage dans ses mains, il s’était mis à pleurer comme un gosse, les gens autour le dévisageait un peu du regard mais ne s’en occupèrent plus aux bouts de 5 minutes. Quelques fois on se demandait s’il était vraiment devenu fou ou s’il se mentait à lui-même, les psychiatres avaient conclu à une possible bipolarité entre un Griffy psychotique et un Griffin plus conscient mais moins présent. Les yeux rougis, il regarde vers le haut en se mordant la lèvre :

«  Je dois le faire. Je peux pas le faire autrement, tout le monde doit être lucide ! Je ne sais même plus à quoi ressemble ma mère ! Bientôt j’oublierais ma femme, tout ça n’aura été qu’un mauvais souvenir ! »

Il eut un rictus assez effrayant et il frappa son verre contre la table si fort qu’il explosa, le silence retomba net, tout le monde était tourné sur lui, un serveur arrive paniqué, pensant à un accident, il nettoie rapidement les débris en s’excusant. Griffin a les membres qui tremblent comme des feuilles, il ferme les yeux et rejette sa tête en arrière.

«  Des fois, je me rappelle de certaines choses et je me dis qu’au final, c’est mieux de les oublier. Si je ne suis plus lucide, tout va recommencer.  Aslinn. Dit il d’un air grave assez troublant, Je peux pas reconstruire parce qu’il n’y a aucune base solide ! Tout ce que j’ai fais jusqu’à aujourd’hui s’est écroulé ! »

Il joue avec un débris oublié par le serveur et s’entaille le bout du doigt, il regarde le sang tâcher la nappe et finit par un petit ricanement.

«  Hee hee… »

Les larmes roulaient sur ses joues mais il les chassa d’un revers de manche, il ne disait rien encore, il n’aimait pas se ratatiner de cette façon. La folie, le seul moyen d’être vraiment libre même si ça ne plait pas à la société. La rousse lui propose d’aller marcher un peu, il se lève lentement presque machinalement, ça le sonne tellement cette histoire. Il est abasourdi, ce n’est plus que l’ombre de lui-même. Oui c’est vrai Griffin avait tué de manière horrible beaucoup de gens, des gens qui n’avaient rien fait, innocents, il avait voulu brûler les êtres les plus pures de dieu, des centaines de nourrissons à la maternité et pourtant. Tout au fonds de lui, persistait une pâle lueur d’humanité.

Dehors, il chassait une vieille canette vide de son chemin, frappant dedans, on entendait le métal rebondir sur le bitume, il a les mains enfouis dans les poches et enfin, il leva le nez pour la regarder d’un air triste. Il vacille entre replonger une nouvelle fois dans la délicieuse et réconfortante folie ou affronter le monde cruel comme il est. Il ne s’en sentait pas capable, tout ce temps passé à rationnaliser les choses n’avait servi à rien, c’était une perte de temps, toute sa vie était une perte de temps. Son père avait toujours réussi à mettre son autorité sur lui sauf quand il a commencé à perdre pieds. Il était devenu accro à cette liberté nouvelle et coincé dans de complexe engrenage, il ne pouvait plus s’en sortir seul.

Il avait pourtant un grand projet, il ne pouvait pas arrêter tout d’un coup, la machine était en marche déjà. C’était maintenant ou jamais, quand ses « amis » les rejoindront, la lucidité coulera à flot partout en ville, les gens souffriront mais ce sera un mal pour un bien. L’irlandais était convaincu. Il ne voyait pas d’autre issu pour lui que la mort. Un suicide pur et simple si son œuvre aboutissait … Mais si cela échouait ? Que se passerait-il ? Il passerait probablement sa vie à Arkham, shooté aux calmants… Et pourtant, Annabeth l’aimait bien plus qu’elle ne le montrait et lui ne voyait rien, trop obnubilé par sa propre folie. Il soupire enfin :

« Les choses ne peuvent pas être autrement. Mon grand cadeau pour la ville aura lieu ! Espérons qu’il réussisse, tout le monde sera heureux, la triste condition de ce monde trop noir ne sera plus couleur et paillette ! C’est ça ! Tout sera plus beau ! Tu … Tu peux me faire confiance ! Il y aura des dégâts collatéraux très négligeable ! Tu seras heureuse tu verras ! Hee hee ! »

Il se mit à rire un peu, le visage un peu tordu, comme si c’était un rire forcé mais ça ne l’était pas.

L’expression de l’homme changea à sa réponse. Ses traits se raidirent autant que ses doigts qui se crispèrent sur un couteau qu’il sortit de sa manche. Ses mains se posèrent sur les épaules de l’irlandaise et il resserra sa prise en la mettant bien face à lui. Il tremblait et se mit à rire :

«  Qui parle d’assassiner ? Je ne vais faire qu’enclencher ce qui est inévitable ! Les citoyens de cette ville ont tout fait pour retarder la lucidité d’opérer, parce qu’ils avaient peurs de voir leur vrai visage en face ! Toi aussi tu as peur, c’est normal ! Tu ne comprends pas encore mais tu verras, tout sera mieux ! C’est le cours des choses !  Hee hee… Ceci dit, tu me demandes de te tuer si gentiment… Il écarquille soudain les yeux et lâche son arme en tremblant comme une feuille, Non non… Oh mon dieu... »

Il était persuadé de faire ça pour le bien de l’humanité ! Il la laisse et recule complètement terrorisé. Instable psychologiquement, il se rendait compte qu’il avait failli tuer une personne qui lui était chère. Il allait trop loin, bientôt, il ne pourrait plus du tout se contrôler déjà qu’il avait beaucoup de mal. La folie qui le réconfortait était une fausse alliée qui ne faisait que le dévorer lentement. Il ne savait plus où donner la tête. Aslinn lui rappelait beaucoup sa femme. Il se rappelait d’Ellen avec une boule dans le ventre. Il savait pertinemment qu’Ellen ne voudrait pas ça et il savait que jamais il n’aurait pu rendre Ellen lucide. C’était trop douloureux, beaucoup trop douloureux. Griffy avait une mémoire déficiente mais il se rappelait très nettement combien il avait souffert avant d’arriver à cet état d’ivresse. Il était complètement désorienté. Que devait-il vraiment faire ? Il ne pouvait pas arrêter tout maintenant, il voulait prouver au monde qu’il n’était pas fou, qu’il était lucide. Est-ce qu’une volonté de compréhension devait aboutir à un bain de sang ? Trop de question, beaucoup trop.

Il se tenait la figure dans le creux de ses mains, il avait horriblement mal au crâne, cela faisait partie de ses migraines quotidiennes, reste de ses séquelles malheureusement. Cela pouvait être calmé par des médicaments, mais il refusait tout traitement car il disait que cela altérerait son état de lucidité et qu’il ne voulait pas la fragiliser. Il continue de reculer et fini par se heurter à un passant, il se retourne hurle, et bouscule le type avant de partir en courant. Il ne s’arrêtait plus, il traverse la route sans même regarder si bien qu’il se fait renverser. Sa vue se trouble mais il se relève malgré tout, le chauffeur est sorti pour venir l’aider et lui demander si tout allait bien. L’irlandais lui met un point pour continuer sa route, il entre dans son appartement de fortune dans un grand fracas et passe sa tête sous l’eau. Il frappe le lavabo et envoie valser le miroir accroché au mur.

HRP: